II. Pêcheur d'Islande à Ploubazlanec

N.B. Si vous pouvez visiter le musée "Mémoire d'Islande" à Ploubazlanec (rue Théodore Botrel, juste derrière la Mairie) avant de faire cette étape, vos découvertes seront enrichies, je vous assure. De droit à gauche devant le Musée : M Pierre Floury (arrière petit-fils du "cousin pilote" qui apporte le vin pêché de la Manche aux noces de Yann et Gaud [IV.7]), M et Mme Yves Nicolas de l'Association internationale des amis de Pierre Loti, et un loup de mer qu'on voit parfois dans la région ;)

Source: Alain Le Mée, La Presse d'Armor 5.7.2006

Les personnages de Loti traversent regulièrement le chemin entre Paimpol et Ploubazlanec à pied. Pour ceux qui n'ont ni l'habitude ni le temps de faire de telles balades, je décris cette partie de la découverte comme on la fait en voiture.

1. Gaud sur le chemin à Ploubazlanec

De loin en loin, [Gaud] traversait de ces petits hameaux de marins qui sont toute l'année battus par le vent, et dont la couleur est celle des rochers. Dans l'un, où le sentier se rétrécissait tout à coup entre des murs sombres, entre de hauts toits en chaume pointus comme des huttes celtiques, une enseigne de cabaret la fit sourire : "Au cidre chinois," et on avait peint deux magots en robe vert et rose, avec des queues, buvant du cidre. Sans doute une fantaisie de quelque ancien matelot revenu de là-bas... (Pêcheur d'Islande II.3)

Pour arriver ici, sortez de Paimpol en suivant la route direction Ploubazlanec. En montant une pente, vous verrez à votre droit un panneau qui annonce Ploubazlanec:

Bientôt après, vous allez tournez à droit devant ce panneau:

Vous vous trouverez devant trois chemins. Ne descendez pas celui à droit, qui vous ramenera à Paimpol par la grève. (Mais c'est un promenade à faire à pied si vous voulez voir le chemin le long de la mer que Loti a dû connaître.) Je vous conseille de continuer tout droit, sur le chemin marqué Tour de Kerroc'h. Stationnez votre voiture en haut et montez à pied le petit sentier. Vous découvrirez la Tour de Kerroc'h. Un cadeau à la ville de Paimpol à la fin du XIXme siècle, elle n'a rien à voir avec Pêcheur d'Islande. Mais la vue du port est splendide, et la tour, qui est devenue un symbole de Paimpol, figure dans le film Pêcheur d'Islande tourné ici en 1933 - le meilleur, à mon avis, des cinq films tirés du roman de Loti.

Après avoir profité du panorama au pied de la Tour, reprenez votre voiture et prenez la route à gauche, devant le panneau ci-dessus. Une fois en bas, tournez à gauche et suivez, tout doucement, la rue de Kerroc'h. Vous longerez d'anciennes fermes et, si vous avez de la chance, beaucoup d'hortensias. Juste avant d'arriver à un passage très étroit entre deux maisons, vous verrez à gauche une ogive qui donne sur une très belle cour.

Source: Archives Berrong

J'aime imaginer que cette ogive était l'inspiration pour le cabaret "Le Cidre chinois". (Si la porte est ouverte et vous avez de la chance, regardez les belles fleurs qui grimpent les murs à l'intérieur.)

A un carrefour, gardé par un de ces christs énormes, [Gaud] hésita entre deux chemins qui fuyaient entre des talus d'épines. (Pêcheur d'Islande II.3)

En passant entre les deux maisons, vous arriverez devant le calvaire Cornic. C'est celui que le deuxième illustrateur de Pêcheur d'Islande, Edmond Rudaux, choisit comme modèle pour le calvaire devant lequel Gaud rencontre la petite Gaos sur son chemin vers Pors Even.

  

Source: Pêcheur d'Islande illustré par Edmond Rudaux (Paris: Calmann-Lévy, 1893) p. 80; Archives Berrong

2. La Maison des Gaos à Pors Even

[Gaud] reprit sa route et, après s'être informée dans le village, elle trouva la maison des Gaos, qui était adossée à une haute falaise ; on y montait par une douzaine de marches en granit. Tremblant un peu à l'idée que Yann pouvait être revenu, elle traversa le jardinet où poussaient des chrysanthèmes et des véroniques. (Pêcheur d'Islande II.3)

Comme Gaud, vous allez prendre le chemin à droit et continuer sur la rue de Toull Broc'h - tout doucement, pour mieux apprécier les panoramas que vous trouverez à droit - jusqu'à ce que vous arriviez, en haut, à un carrefour. C'est la rue Pierre Loti. Vous prendrez à droit, et descendrez jusqu'en bas, au port de Pors Even.

Mais roulez tout doucement, et faites attention aux numéros à gauche. Vous allez vouloir vous arrêter devant le 93.

                  

Source: Archives Berrong

La légende locale veut que Loti ait écrit Pêcheur d'Islande dans cette maison, ce qui n'est pas vrai. C'était autrefois la maison de Guillaume Floury, un marin que Loti connaissait et qui lui servit de modèle pour Yann Gaos dans Pêcheur d'Islande. Loti dînait chez lui parfois quand il était de passage. On a complètement refait l'intérieur, donc il n'y a plus rien à y voir de l'époque du roman. Comme vous voyez sur les deux cartes postales, on a aussi ajouté des lucarnes et des fenêtres. Mais même transformée cette maison donne une idée d'une maison de pêcheur à Pors Even à l'époque où Loti écrivait son roman. Heureux ceux qui l'ont choisi aujourd'hui pour résidence!

3. L'Ancienne église de Ploubazlanec, où Yann et Gaud se marient

C'était six jours avant le départ pour l'Islande. Leur cortège de noces s'en revenait de l'église de Ploubazlanec, pourchassé par un vent furieux, sous un ciel chargé et tout noir....

A la porte de l'église, les mariés s'étaient acheté, suivant la coutume, des bouquets de fausses fleurs pour compléter leur toilette de fête. Yann avait attaché les siennes au hasard sur sa poitrine large, mais il était de ceux à qui tout va bien. Quant à Gaud, il y avait de la demoiselle encore dans la façon dont ces pauvres fleurs grossières étaient piquées en haut de son corsage--très ajusté, comme autrefois, sur sa forme exquise. (Pêcheur d'Islande IV.6)

Après la maison de Yann Gaos, vous allez descendre jusqu'en bas du port de Pors Even, où vous ferez demi-tour pour remonter la rue Pierre Loti jusqu'au bourg de Ploubazlanec. (La rue change de nom à la petite chapelle - que vous ne regarderez pas de trop près; vous y reviendrez - et devient la rue Théodore Botrel.) Quand vous arrivez au feu, continuez tout droit - après vous être arrêté si le feu est au rouge, bien entendu! - jusqu'au centre du bourg. Sur votre droit vous verrez une cabine téléphonique; stationnez la voiture dans le parking à côté et montez dans le cimetière.

A votre droit vous verrez un marbre couché de l'ancien recteur de l'église de Ploubazlanec, mort en 1882, avant la parution de Pêcheur d'Islande.

Source: Archives Berrong

Ce tombeau était devant l'ancienne église de Ploubazlanec dont Loti parle. Vous la voyez sur cette ancienne carte postale ; elle occupait donc ce qui est maintenant une partie du cimetière.

Source: Collection de M Pierre Floury

En continuant, vous découvrirez le Mur des disparus en mer, que Loti ne connaissait pas. Ici sont mémoralisés les 2000 hommes de la région perdus, comme Yann, en faisant la pêche en Islande. (Il y a des panneaux qui expliquent leur histoire.) Vous y trouverez aussi une mémoire qui rappelle la mort de Guillaume Floury, peri en mer lui aussi, mais après la parution du roman de Loti et dans la baie de Paimpol pendant les manoeuvres d'un canot de sauvetage. Plus loin vous verrez une plaque qui commémore la perte d'une goëlette qui, après la parution de Pêcheur d'Islande, portait le nom de Pierre Loti mais coula tout de même.

     

Archives Berrong

4. La Chapelle des Naufragés (chapelle de Perros Hamon)

[Gaud] arriva à une chapelle, qu'on apercevait de loin sur une hauteur. C'était une chapelle toute grise, très petite et très vieille ; au milieu de l'aridité d'alentour, un bouquet d'arbres, gris aussi et déjà sans feuilles, lui faisait des cheveux, des cheveux jetés tous du même côté, comme par une main qu'on y aurait passée....

Source: Archives Berrong

Gaud se trouvait presque au bout de sa course, puisque c'était la chapelle de Pors-Even ; alors elle s'y arrêta, pour gagner encore du temps.

Un petit mur croulant dessinait autour un enclos enfermant des croix. Et tout était de la même couleur, la chapelle, les arbres et les tombes ; le lieu tout entier semblait uniformément hâlé, rongé par le vent de la mer ; un même lichen grisâtre, avec ses taches d'un jaune pâle de soufre, couvrait les pierres, les branches noueuses, et les saints en granit qui se tenaient dans les niches du mur....

Source: Archives Berrong

Afin de perdre un moment de plus, elle entra dire une prière sous ce porche antique, tout petit, usé, badigeonné de chaux blanche. Mais là elle s'arrêta, avec un plus fort serrement de coeur....

Elle se mit à lire cette inscription :

en mémoire de
Gaos, Jean-Louis,
âgé de 24 ans, matelot à bord de la Marguerite,
disparu en Islande, le 3 août 1877,
qu'il repose en paix !

Source: Archives Berrong

L'Islande, --toujours l'Islande ! --Partout, à cette entrée de chapelle, étaient clouées d'autres plaques de bois, avec des noms de marins morts. C'était le coin des naufragés de Pors-Even.... Il y avait de chaque côté un banc de granit, pour les veuves, pour les mères : et ce lieu bas, irrégulier comme une grotte, était gardé par une bonne vierge très ancienne, repeinte en rose, avec de gros yeux méchants, qui ressemblait à Cybèle, déesse primitive de la terre.

Gaos ! Encore !

en mémoire de
Gaos, François,
époux de Anne-Marie Le Goaster,
capitaine à bord du Paimpolais,
perdu en Islande du 1er au 3 avril 1877,
avec vingt-trois hommes composant son équipage.
qu'ils reposent en paix !

Source: Archives Berrong

et, en bas, deux os de mort en croix, sous un crâne noir avec des yeux verts, peinture naïve et macabre, sentant encore la barbarie d'un autre âge.

Un autre Gaos s'appelait Yves, enlevé du bord de son navire et disparu aux environs de Norden-fiord, en Islande, à l'âge de vingt-deux ans.

Source: Archives Berrong

La plaque semblait être là depuis de longues années ; il devait être bien oublié, celui-là....

Elle entra dans la chapelle, déjà obscure, à peine éclairée par ses fenêtres basses aux parois épaisses. Et là, le coeur plein de larmes qui voulaient tomber, elle s'agenouilla pour prier devant des saints et des saintes énormes, entourés de fleurs grossières, et qui touchaient la voûte avec leur tête. (Pêcheur d'Islande II.3)

Source: Archives Berrong

Après votre visite au cimetière, vous reprendrez la voiture et continuerez (direction Paimpol) jusqu'à ce que vous sortiez du bourg (vous aurez une école élémentaire à votre gauche). Il faut prendre à gauche pour rentrer dans le bourg. Vous remonterez jusqu'au feu, où vous tournerez à droit pour redescendre la rue Théodore Botrel jusqu'à la chapelle que vous avez vue en remontant de Pors Even. (Il y a un parking en face.) C'est la chapelle où Gaud s'arrête en allant chercher Yann chez lui à Pors Even (II.2), et où, plus tard, elle vient prier pour son retour (V.7). Remarquez comment Loti se servit de trois des mémoires pour les plaques funéraires dans son roman. Il aurait trouvé ici aussi le nom du dernier bateau de Yann, la Léopoldine, choix bizarre pour un bateau après la mort de Léopoldine Hugo, fille du poète, noyée pendant sa lune de miel lors d'un accident de bateau. Vous pouvez voir la chapelle tel qu'elle était autrefois - avant la restoration "brilliante" de l'autel - dans le film de Pêcheur d'Islande tourné à Paimpol en 1933.

5. La Croix des veuves

... A mesure que s'en allait cette Léopoldine, Gaud comme attirée par un aimant, suivait à pied le long des falaises.

Il lui fallut s'arrêter bientôt, parce que la terre était finie ; alors elle s'assit, au pied d'une dernière grande croix, qui est là plantée parmi les ajoncs et les pierres.

Comme c'était un point élevé, la mer vue de là semblait avoir des lointains qui montaient, et on eût dit que cette Léopoldine, en s'éloignant, s'élevait peu à peu, toute petite, sur les pentes de ce cercle immense. (Pêcheur d'Islande V.2)

Maintenant [Gaud] avait pris l'habitude d'aller dès le matin tout au bout des terres, sur la haute falaise de Pors-Even, passant par derrière la maison paternelle de son Yann, pour n'être pas vue par la mère ni les petites soeurs. Elle s'en allait toute seule à l'extrême pointe de ce pays de Ploubazlanec, qui se découpe en corne de renne sur la Manche grise, et s'asseyait là tout le jour au pied d'une croix isolée qui domine les lointains immenses des eaux....

Autour de cette croix de Pors-Even, il y avait les landes éternellement vertes, tapissées d'ajoncs courts. Et, à cette hauteur, l'air de la mer était très pur, ayant à peine l'odeur salée des goémons, mais rempli des senteurs délicieuses de septembre.

On voyait se dessiner très loin, les unes par-dessus les autres, toutes les découpures de la côte ; la terre de Bretagne finissait en pointes dentelées qui s'allongeaient sur le tranquille néant des eaux.

Au premier plan, des roches criblaient la mer ; mais, au delà, rien ne troublait plus son poli de miroir ; elle menait un tout petit bruit caressant, léger et immense, qui montait du fond de toutes les baies. Et c'étaient des lointains si calmes, des profondeurs si douces ! Le grand néant bleu, le tombeau des Gaos, gardait son mystère impénétrable, tandis que des brises, faibles comme des souffles, promenaient l'odeur des genêts ras qui avaient refleuri au dernier soleil d'automne.

A certaines heures régulières, la mer baissait, et des taches s'élargissaient partout, comme si lentement la Manche se vidait ; ensuite, avec la même lenteur, les eaux remontaient et continuaient leur va-et-vient éternel, sans aucun souci des morts.

Et Gaud, assise au pied de sa croix, restait là, au milieu de ces tranquillités, regardant toujours, jusqu'à la nuit tombée, jusqu'à ne plus rien voir. (Pêcheur d'Islande V.8)

Après avoir visité la chapelle, redescendez la rue Pierre Loti direction Pors Even en faisant attention cette fois aux panneaux pour la Croix des veuves. Au carrefour vous tournerez à gauche, et puis à droit (c'est signalé), jusqu'au bout où, sur un promontoire, vous vous trouverez devant ce qui s'appelait, dans le temps, La Croix lointaine, mais qui depuis la parution de Pêcheur d'Islande s'appelle La Croix des veuves.

Source: Archives Berrong

6. La Chapelle de la Trinité

On continua de marcher au delà du hameau de Pors-Even et de la maison des Gaos. C'était pour se rendre, suivant l'usage traditionnel des mariés du pays de Ploubazlanec, à la chapelle de la Trinité, qui est comme au bout du monde breton.

Au pied de la dernière et extrême falaise, elle pose sur un seuil de roches basses, tout près des eaux, et semble déjà appartenir à la mer. Pour y descendre, on prend un sentier de chèvre parmi les blocs de granit.

Source: Archives Berrong

Et le cortège de noce se répandit sur la pente de ce cap isolé, au milieu des pierres, les paroles joyeuses ou galantes se perdant tout à fait dans le bruit du vent et des lames.

Impossible d'atteindre cette chapelle ; par ce gros temps, le passage n'était pas sûr, la mer venait, trop près, frapper ses grands coups. On voyait bondir très haut ses gerbes blanches qui, en retombant, se déployaient pour tout inonder. (Pêcheur d'Islande IV.6)

Après leur mariage, Yann et Gaos descendent le "sentier de chèvre" que vous trouverez à droit de la Croix des veuves pour se rendre à la Chapelle de la Trinité. (Si vous n'êtes pas chèvre, vous pouvez descendre à Pors Even en voiture, où il y a un sentier bien plus facile qui mène à la Chapelle.) Il n'y a pas grand'chose à voir à l'intérieur, mais le panorama est à ne pas oublier.